L’heure de vérité pour l’impertinente bariolée Cyndi Lauper. Trois ans après avoir réveillé avec panache les gamines engoncées dans les modèles féminins superficiels et inaudibles du debut des eighties, il est temps pour notre héroïne singulière de passer le cap du deuxième album. Pas si simple, en 86, alors que la proposition musicale générale est dantesque, et que la toute fraîche MTV sature une jeunesse au bord de l’écoeurement de tubes à usage unique.
Lauper, son look à déclencher des crises d’épilepsie, son minois lambda au potentiel d’identification universel, sa voix de dingue, et… son utérus, vont devoir taper fort pour ne pas rester dans les annales du rock comme une exception dérisoire, un effet de mode gentiment féministe, rafraichissante sur le moment, oubliée dans la minute qui suit.
Dès l’ébauche de True Colors, Lauper est lâchée par le producteur de She’s So Unusual, qui n’appréciait pas des masses l’émancipation artistique de la petite. Entre leur première collaboration et l’avortement de celle-ci, l’insolente s’est vu confier la direction artistique de la bande originale des Goonies, film culte pour toute une génération de sales gosses. La demoiselle a pris du galon, plus question désormais de se laisser dicter le taux de rentabilité de sa personnalité foutraque. Maintenant, c’est elle, et seulement elle, qui choisit. Elle, qui détermine le potentiel des titres qu’on lui propose, elle aussi, qui les imbibe d’intentions militantes, et d’une sincérité touchante. True Colors n’était qu’une chanson délaissée par une autre lorsqu’elle met la main dessus. Elle y perçoit l’écho d’un deuil récent, y entend la voix d’une communauté malmenée - la cause LGBT. Clairvoyante, elle a la présence d’esprit de ne pas trop en faire, et lui insuffle un délicat message d’acceptation, qui résonnera chez des millions d’auditeurs.
Et c’est là tout le talent de Cindy Lauper. Imprégner les chansons qu’elle interprète de sa touche délicieusement excentrique, de sa sensibilité folle. Alors oui, True Colors est empreint d’un certain TDAH, d’influences multiples et désordonnées, à son image. Elle s’y approprie et transfigure le mythique What’s Goin On de Marvin Gaye, s’amuse sur le Iko Iko des Dixie Cups, plonge tête la première dans la new wave synthétique avec Change of Heart, invite ses copines des Bangles et Billy Joel à la fête, et se paie le luxe de travailler avec deux trois guitaristes pas mauvais du genre Nile Rodgers, Rick Derringer ou Adrian Belew de King Crimson. Un casting de seconds rôles au name dropping plutôt réjouissant, même Pee Wee Herman, énergumène pop à sa hauteur, vient jouer les cautions fantaisistes du titre 911.
Un album portrait, complexe et accessible à la fois, aussi léger qu’intense. Une célébration gracieuse de l’individualité, masterisée ici sur le système de renommée internationale de Mobile Fidelity et pressée à RTI, afin que vous ne manquiez aucunes nuances des véritables couleurs d’une grande artiste.
1. Change of Heart
2. Maybe He’ll Know
3. Boy Blue
4. True Colors
5. Calm Inside the Storm
6. What’s Going On
7. Iko Iko
8. The Faraway Nearby
9. 911
10. One Track Mind