La neurasthénie folk qui lui collait aux basques, Dylan l’avait déjà très ostensiblement envoyé balader sur Bringing it All Back Home et Highway 61 Revisited, ses albums précédents. Jusque là, ses riffs à lui, c’était les mots. Mais Beatles, Kinks et Stones étant passés par là, le jeune prophète malgré lui s’encanaille avec le peu recommandable Brian Jones, expérimente à peu près tout le spectre stupéfiant, se consume avec la sémillante Edie Sedgwick, en épouse une autre simultanément, et branche enfin sa guitare. Un virage électrique qui laisse une bonne partie de son auditoire assez perplexe.
Pas déstabilisé pour un sou, Bobby Dylan poursuit sa quête d’ailleurs frondeuse et s’exile dans les rues nocturnes moites et indolentes de Nashville pour enregistrer son 7ème album. Sa plume acide, il la trempe dans le blues cradingue, et épingle au passage la psyché humaine. De ses amours déglingues, il tire une foule de ballades comme des petits miracles cousus des fragments névrotiques de l’âme humaine. Des sérénades si belles, que nous irions même jusqu’à proposer qu’I Want You, quintessence de la chanson romantique, soit automatiquement intégrée à la bande originale de l’existence de chacun, afin d’emplir de manière très à propos l’atmosphère lorsque la jolie caissière au délicieux accent argentin de la boutique bio du coin effleure notre main en nous rendant notre CB. Par exemple. La vraie vie manque parfois cruellement d’imagination, il n’en va définitivement pas de même pour le jeune Dylan.
Cette édition double vinyle, masterisée à partir des bandes originales – du master analogique remixé 1/2″ / 30 IPS vers DSD 64, vers console analogique, vers tour – s’inscrit dans la démarche dévote de MoFi, qui s’est attelé à la restauration audiophile de l’oeuvre Dylanienne. De la fanfare foutraque sous amphèt’ de Rainy Day Women #12 & 35 à la magnifique abstraction de la déclaration d’amour à Madame – la vraie, l’épouse - qui colonise toute la dernière face de l’album - Sad Eyed Lady of the Lowlands - les saillies tantôt revêches, tantôt hilares du poète amoureux prennent ici tout l’ampleur aurale qu’elles méritent. Une verve quasi psychanalytique, équivoque comme à son habitude, si prolixe qu’il en fit un double album, le premier de l’histoire du rock. Avec M. Dylan, on est plus à une légende rock’n’roll près après tout.
TRACKLIST
- Rainy Day Women #12 & 35
- Pledging My Time
- Visions of Johanna
- One of Must Know (Sooner or Later)
- I Want You
- Stuck Inside of Mobile With the Memphis Blues Again
- Leopard-Skin Pill-Box Hat
- Just Like a Woman
- Most Likely You Go Your Way (And I'll Go Mine)
- Temporary Like Achilles
- Absolutely Sweet Marie
- 4th Time Around
- Obviously 5 Believers
- Sad Eyed Lady of the Lowlands