Ah…insaisissable Dylan… Retour aux sources pour le génie/sale môme du rock, qui avait provoqué une rafale de crises d’apoplexie chez les idéalistes indolents lorsqu’il délaissa un temps la contestation folk pour une trilogie électrique bouclée avec brio par Blonde on Blonde. En 66, c’était ça la vie d’un Bob Dylan, une carrière qui inspirait louanges énamourées autant que crachats outrés et belliqueux. Une chandelle brulée par les deux bouts, à 100 à l’heure… jusqu’au coup de pied motorisé monumental dans le fondement du jeune homme par le destin, qui lui coupe la chique près d’un an et demi. Un accident de moto brutal, presque fatal. Dieu Dylan serait donc bien un mortel comme les autres, sujet à la finitude comme vous et moi. Convalescent, sorti de la ligne de mire populaire, il devient malgré lui le protagoniste de mille fantasmes. On le dit, en vrac, interné chez les dingues, dans les griffes de la CIA, abducté par les extraterrestres, pire, on le pense cané.
Ah ça non, Dylan n’est pas mort, cabossé par une cascade d’anthologie oui, mais toujours bien de ce monde. Enfin sa conception toute personnelle de ce monde, désormais empreinte d’un mysticisme ironique. Le type a quand même regardé la faucheuse dans le blanc des yeux, forcément ça fait réfléchir un poil. Alors au diable les délires acides et mégalo rock’n’roll du moment, Dylan revient avec un album à contre-courant – encore! – sobre et imbibé de quiétude. Retour aux racines du mythe Américain, ses vagabonds et ses hors-la-loi – I’m A Lonesome Hobo, Drifter’s Escape, John Wesley Harding – alter-egos rustres d’un Dylan en proie aux perversions de la célébrité. Retour aux valeurs immuables aussi : la foi – The Ballad Of Frankie Lee And Judas Priest, I Dreamed I Saw St Augustine – l’amour, la famille – Down Along The Cove, I’ll Be Your Baby Tonight – les joies de la vie à la campagne… Une prêche tranquille, bourrée de paraboles folk. In God We Trust après tout. Une ascèse rustique, en totale inadéquation avec le psychédélisme poussif de l’époque.
Vraiment? Vous y croyez vous à ce revirement mystique? Ce serait mal connaitre la bête. Sous couvert d’un pseudo-assagissement synonyme d’une maturité née d’un flirt mémorable avec l’adversité, le soit-disant néo-Dylan ne fait que confirmer une ligne directrice déjà bien étrennée, qui ne le quittera jamais tout au long d’une carrière ambivalente : Bob Dylan ne fait rien d’autre que ce qui lui chante. Point final.
Cette édition audiophile SACD, met idéalement en valeur la voix murie et émaillée du prêcheur Dylan, cette scénographie instrumentale dépouillée, cette économie prosatrice inhabituelle, qui rabattent une nouvelle fois les cartes du jeu du rock’n’roll pour le Monsieur. Un album qui inspirera folkeux autant que rockers d’ailleurs : est-il réellement utile de mentionner ici la reprise stellaire du sublime All Along The Watchtower par Hendrix?
TRACKLIST
1. John Wesley Harding
2. As I Went Out One Morning
3. I Dreamed I Saw St. Augustine
4. All Along the Watchtower
5. The Ballad of Frankie Lee and Judas Priest
6. Drifter's Escape
7. Dear Landlord
8. I Am a Lonesome Hobo
9. I Pity the Poor Immigrant
10. The Wicked Messenger
11. Down Along the Cove
12. I'll Be Your Baby Tonight