Pauvres fans de Bob Dylan… En s’amourachant du barde folk, ils étaient sans doute loin d’imaginer l’ascenseur émotionnel que celui-ci allait leur infliger, d’album en album, de concept en concept, de révélations folk engagées en stupéfactions électriques rebelles, de renoncements idéalistes en pieds de nez country tradi… De véritables montagnes russes musicales, tantôt inspirantes, tantôt révoltantes. Nashville Skyline se situe quelque part dans ce manège gentiment sadique que Dylan se délecte de proposer à un public qu’il semble ne jamais vouloir complètement acquis à sa prose. Jalonnée d’énigmes, la carrière de Dylan enthousiasme autant qu’elle désarçonne, et Nashville Skyline est sans aucun doute un marqueur particulièrement éloquent de cette propension à la cyclothymie mélodique. Ici, il n’est plus du tout question d’élucubrations littéraires, d’évocations sibyllines, de crispations révolutionnaires. Ici, on entre en terrain country. Quoi?? Dylan qui se frotte au genre musical le plus conservateur du panorama états-unien? Mais enfin, il a perdu la tête? Et pourtant, cet album est sans aucun doute le plus volontairement lénifiant de l’artiste. Une fois passé le choc de cette voix quasi méconnaissable – un médium de simili-crooner, délesté de son fameux timbre nasillard, soit-disant dû au sevrage tabagique. Bon, admettons… – on découvre une oeuvre succincte certes – 27 petites minutes – mais chaleureuse, positive, clairement trempée dans un bain hillbilly gentillet, aux textes simples et directs. Oui ça surprend. Mais c’est joli, bien foutu et efficace – cf le tube doucereux Lay Lady Lay. Dylan rend tout simplement hommage à ses premiers amours – auxquels ils avait déjà fait référence sur les ultimes pistes de son John Wesley Harding – tout en poursuivant cette parenthèse apaisée post-EMI à moto de 66. Et se fait un sacré plaisir au passage. Il invite le grand Johnny Cash – pape ombrageux de la country – et c’est peut-être l’une des rares fois où l’on sent le d’ordinaire impétueux Bobby D. un brin impressionné – pour un duo de monstres sacrés mémorable – Girl from the North Country. À l’image de cette pochette au rictus rarissime chez le bonhomme, Nashville Skyline, c’est simplement Robert Zimmerman qui tire son chapeau aux idoles de ses jeunes années, pas si lointaines d’ailleurs. Exit la complexité (con)textuelle de ses débuts, Dylan aspire à la sérénité. Et fournit un album pétri de modestie et lumineux.
Masterisée sur notre système de renommée mondiale – du master analogique mono 1/4″ / 15 IPS vers DSD 256 – cette version SACD magnifie cette énième réinvention du Zim’, qui tourne délibérément le dos à ses contemporains, aux expérimentations ténébreuses narcotiques du Velvet Underground, aux délires psychédéliques des Who de Tommy, pour démocratiser la vénérable country avec élégance. Et ce sont les Eagles, quelques années plus tard, qui lui diront sans doute un grand merci.
TRACKLIST
- Girl From The North Country
- Nashville Skyline Rag
- To Be Alone With You
- I Threw It All Away
- Peggy Day
- Lay Lady Lay
- One More Night
- Tell Me That It Isn't True
- Country Pie
- Tonight I'll Be Staying Here With You