Okay, préparons-nous psychologiquement, parce que nous nous apprêtons à aborder un sujet qui fâche : le Dylan des années 80. Non, point de masochisme là dedans, puisque l’objet de notre attention est l’album Oh Mercy, seule lueur d’espoir d’une décennie plus que chaotique pour un Bob Dylan ostensiblement paumé, et chrétien converti très – trop – loquace sur le sujet. Trois – trois! – albums mystiques et fastidieux pour couvrir le thème : public et critique ont ostensiblement répondu – oh – merci mais, non merci. Et ce ne sont pas les opus sans envergures qui ont succédé à cette trilogie honnie qui vont lui sauver la mise. Dylan se retrouve relégué au purgatoire du rock’n’roll. Connaissant la fierté du bonhomme, pas étonnant que la pilule ait du mal à passer. Il vitupère alors à qui veut bien l’entendre qu’il en est fini de Bob Dylan, basta, ciao tout le monde, il raccroche sa guitare – Na!
Et c’est donc là que Bono, grand sauveur de l’humanité devant l’Eternel, lui suggère gentiment de passer un petit coup de fil à Daniel Lanois, rejeton de l’école Brian Eno, qui assistait le producteur/demi-dieu lors des sessions d’enregistrement du gros carton de son groupe, le poétique Joshua Tree. Direction la Nouvelle-Orléans pour un Zim’ renfrogné et incrédule. Là-bas, il toise le travail de Lanois, alors en pleines sessions pour les Neville Brothers, et se dit que bon, il va peut-être bien lui donner sa chance au gamin. Les deux hommes se terrent dans un très chic manoir colonial aménagé pour l’occasion, et roucoulent professionnellement parlant pendant deux mois absolument idylliques. Bah oui, évidemment qu’on plaisante. Dylan peste à tout va parce que justement, rien ne va. Oui ben mon Bobby, vue ta côte de popularité du moment, mieux vaut laisser le type le plus en odeur de sainteté rock faire son truc, tu crois pas?
Les égos s’hérissent, les guitares en pâtissent – une plus particulièrement, dommage collatéral d’un Lanois au bord de la crise de nerfs – mais le résultat douloureusement matérialisé lui, est tout simplement grandiose. Dylan, plus ombrageux que jamais, couche sur le papier des textes puissants et ténébreux exhalés par une voix rocailleuse de nouveau habitée – Man in the Long Black Coat – mais ne peut s’empêcher d’assener un méchant coup de crocs aux mollets de ses détracteurs déçus, avec le piquant What Was It You Wanted. Le producteur québécois visionnaire taille de son coté un écrin sur mesure et inattendu à chacune des compositions du barde, synthétisant à peu près tous le spectre des instruments jamais inventés : dobro, omnichord, ou encore mandore insufflent à l’album cette dimension étrange, troublante et ésotérique qui fait le suc de Oh Mercy. Introspection – What Good Am I? – apocalypse – Everything Is Broken – et – on est toujours chez Dylan quand même – politique sont évoquées, tissant le charme fragile d’un album inespéré, aujourd’hui édité dans une version SACD proche de la perfection, tirée des enregistrements originaux, masterisée et gravée selon le protocole audiophile exigeant de MoFi.
TRACKLIST
1.Political World
2.Where Teardrops Fall
3.Everything Is Broken
4.Ring Them Bells
5.Man in the Long Black Coat
6.Most of the Time
7.What Good Am I?
8.Disease of Conceit
9.What Was It You Wanted
10.Shooting Star