Une année après avoir bouleversé le continuum rock avec sa prestation chamanique torride à Woodstock et un premier album non moins incandescent sorti dans la foulée, Santana relance la magie noire, et invoque Abraxas. Égérie idéale puisqu’ambivalente, divinité mythologique mi-Dieu, mi-Diable, glanée dans les écrits de Herr Herman Hesse, Abraxas baptise ce second opus. Une oeuvre toute en références, littéraires donc, mais également artistiques et forcément musicales : l’illustration de la pochette est signée Abdul Mati Klarwein, peintre allemand déjà rompu à cet exercice, puisque c’est à lui que l’on doit l’hypnotisant graphisme du Bitches Brew de Miles Davis, paru l’année précédente. Pas franchement une coïncidence, le brujo du rock chicano n’a jamais caché son admiration pour la superstar aussi vénérée que controversée du jazz. Voilà qui explique les accents bien sentis de jazz (en) fusion injectés en intraveineuse ça et là dans une composition toujours délicieusement métissée – rock psychédélique virtuose, funk brulante, salsa enfiévrée – plus arborescente encore – jazz rock, rythmes afro-cubains se joignent à la fête – et sans doute, un brin plus sophistiquée que le déjà épatant Santana premier du nom.
Les membres de la formation, le frêle guitar hero aux bacchantes décomplexées en tête, persistent et signent, confirmant leur statut de musicos émérites et inspirés. Un album tout en aspérités suaves, en incantations sexy, infusé de blues habité, de jazz électrique illuminé, de percussions chaloupées, et évidemment des riffs rock brulants, presque sorciers, de Señor Santana. Les instrumentaux – et donc mutiques – Singing Winds, Crying Beasts, Incident at Neshabur, Se A Cabo, ou encore Samba Pa Ti sont paradoxalement particulièrement éloquents. Carlos Santana en dit plus sans ouvrir la bouche que la horde de VRP du rock’n’roll du moment ne pourra jamais exprimer en s’époumonant avec emphase ultra sexuée. Car c’est notre cerveau reptilien que Santana titille allègrement, avec ses rythmes moites charnels, ses percussions quasi tribales, qui mettent le feu aux titres empruntés aux copains et/ou mentors – Black Magic Woman piqué à son pote Peter Green alors officiant chez Fleetwood Mac, ou encore Oye Come Va du « Rey Del Timbal » Tito Puente, un des pères spirituels de Carlito – jusqu’à transcendance ardente : la spécialité du Monsieur.
Une infection de convulsions hyperthermiques pelviennes, propagées via les ondes dans l’Amérique encore un brin guindée des seventies, propulse Abraxas six semaines au top des charts US. Masterisée à partir des bandes originales – du master analogique 1/4″ / 15 IPS vers DSD 256 – cette édition SACD hybride Mobile Fidelity assume éhontément sa volonté de porter à ébullition chacun des atomes de votre organisme.
TRACKLIST
1. Singing Winds, Crying Beasts
2. Black Magic Woman/Gypsy Queen
3. Oye Como Va
4. Incident at Neshabur
5. Se a Cabo
6. Mother's Daughter
7. Samba Pa Ti
8. Hope You're Feeling Better
9. Nicoya