Pauvre Mademoiselle Simon… Jolie jeune fille de bonne famille, il faut dire qu’elle n’inspire pas d’emblée grand chose de rock’n’roll. Les détentrices de trompes de fallope se voyant quasi systématiquement refoulées du club très prisé des icônes du genre par dessus le marché, autant dire que Simon et son sourire Colgate démesuré pas franchement subversif, allaient devoir batailler fort pour ne pas être cantonnés au rôle de gentille choriste à l’interêt purement ornemental. Les couleuvres du patriarcat, la jeune Carly va donc devoir en avaler quelques unes avant de faire sa place au sein de la généalogie du rock.
Elle pénètre le milieu folk dans les années soixante, au sein d’un duo sororal gentillet. Deux albums plus tard, la frangine en chef, Lucy, renonce aux lumières de la scène pour celles, disons…plus feutrées des biberons donnés à bébé à quatre heures du mat’. Et tant pis pour l’émancipation féminine.
Esseulée, mais pas découragée pour autant, la jolie Carly est repérée – probablement grâce à son physique avantageux, son meilleur ennemi – par un producteur aussi doué que lunatique, et peut-être un brin misogyne. La preuve : envoyée en studio dans la foulée pour mettre en boite son premier album solo, elle voit son processus créatif âprement avorté par Monsieur, à la première objection de l’impertinente quant à la substance artistique du projet. Nous sommes en 66, et Carly Simon retourne à la case départ.
Il va falloir attendre le cap des seventies franchi, et une signature avec le label en passe de devenir culte Elektra Records pour que la carrière de la demoiselle décolle enfin. Son grand manitou Jac Holzman ayant déjà collaboré avec une longue liste d’artistes bigarrés – dont certains aussi polairement opposés à la belle Carly que les Doors ou le MC5 – il sait très bien à quel point une bonne synergie entre producteur et artiste peut exalter le potentiel de ses poulains en studio. Il a le flair de lui coller dans les pattes le producteur Eddie Kramer.
Celui-ci laisse – enfin – la chanteuse s’exprimer, et elle va le faire avec une poignance pudique irrésistible. That’s the Way I’ve Always Heard It Should Be, ballade désabusée sur le mariage – devenu tube instantané – flirte ostensiblement avec le féminisme, alors que les titres suivants délient une pop folk habitée de mille sentiments ambivalents, intrinsèques au douloureux passage d’une jeune femme de l’insouciance juvénile à un âge adulte sans pitié.
Les prémices éloquents de la carrière remarquable d’une des auteures-compositrices-interprètes les plus respectées du microcosme rock, désormais disponibles dans leur meilleure retranscription, grâce à cette édition SACD audiophile MoFi, masterisée à partir des bandes originales. Alors, ne reste plus qu’à insérer l’opus dans votre lecteur, retirer vos chaussures, vous servir un bon verre de vin, et puis tiens, pourquoi ne pas vous faire couler un bain aussi ? Il est temps pour vous de vous relaxer au son de la voix lénifiante de la douce Carly Simon, et de laisser glisser sur votre épiderme toutes les petites vexations quotidiennes. Bonne écoute.
TRACKLIST
1.That's the Way I've Always Heard It Should Be
2.Alone
3.One More Time
4.The Best Thing
5.Just a Sinner
6.Dan, My Fling
7.Another Door
8.Reunions
9.Rolling Down the Hills
10.The Love's Still Growing