Debut des 70s, David Crosby est sur la brèche. Superstar du mouvement freak-folk, réputé compliqué, il s’enlise dans des dissensions artistiques sans fin avec Stephen Stills chez un Crosby, Stills, Nash and Young en perdition. La fin semble proche pour le supergroup depuis l’enregistrement amer du mythique Déjà Vu. Le concept de finitude des choses, des êtres, Crosby l’a d’ailleurs pris en pleine tête fin 69, lorsqu’il perd brutalement l’amour de sa vie dans un tragique accident de voiture. Inconsolable, il s’anesthésie comme il le peut, flirte dangereusement avec l’autodestruction. C’est là que Graham Nash, son indéfectible ami, lui insuffle l’idée d’un album catharsis, qui se muera en un pur chef d’oeuvre. Pour David Crosby, il y aura eu un avant et un après cet événement terrible, pour nous, auditeurs, il y aura eu un avant et un après cet album sublime.
Car If Only I Could Remember My Name traduit de manière assez remarquable cet état d’ubiquité endeuillée, la dualité de l’esprit mélancolique, à la fois forcé de reprendre la marche naturelle de la vie, tout en demeurant en partie dans une dimension distante, acculé de pensées endolories et de souvenirs heureux perdus. Une ambivalence poignante qui résonne avec poésie dans cet album fragile, mystique, aux mélodies hantées et aux vocalises comme des mantras résilients et brisés à la fois.
Pour le soutenir, c’est toute la scène West Coast qui se presse en studio : Grace Slick et une grande partie des Jefferson Airplane, des membres du Grateful Dead, de Santana, et ses âmes soeurs Graham Nash, Neil Young et Joni Mitchell. En résulte une création habitée, atmosphérique, un onguent onirique pour une Amérique sonnée par la fin cinglante du rêve idéaliste hippie. Car si l’époque libérée et doucement hallucinée s’est vu violemment coupée l’herbe sous le pied par un Vietnam absurde et l’aberration de la secte de Manson, qui de mieux que Crosby, soufflé par un deuil injuste, pour traduire cet d’état d’hébétement éprouvant?
Alors Crosby expie. Ses déboires avec Stills dans le cryptique Cowboy Movie. Le manque de l’être disparue -Tamalpais High (at about 3), I’d Swear There Was Someone Here – et les rires empreints de tristesse et d’aigreur post-perte d’un être cher – Laughing. L’amertume hippie aussi – What Are Their Names… L’âme du monsieur est cabossée, mais d’une justesse presque surnaturelle.
Masterisé à partir des bandes maîtresses originales, le SACD hybride Mobile Fidelity de If Only I Could Remember My Name, fait magnifiquement vibrer la corde sensible de cette oeuvre divine, sacrée second meilleur album pop rock de tous les temps par l’Osservatore Romano, le journal officiel du Vatican. Une distinction qui ne trompe pas.
TRACKLIST :
1) Music Is Love
2) Cowboy Movie
3) Tamalpais Hogh (At About 3)
4) Laughing
5) What Are Their Names
6) Traction in the Rain
7) Song With No Words (Tree With No Leaves)
8) Orleans
9) I’d Swear There Was Somebody Here