En 70, franchement, la vie des gars du Grateful Dead n’a plus rien de peace, ni de love d’ailleurs. Endettés jusqu’à l’os auprès de la Warner – leur précédent album Aoxomoxoa, outre son intitulé imprononçable, fut un vrai gouffre financier – il sont lâchés dans la foulée par un « manager » à la déontologie douteuse, accessoirement paternel de leur batteur numéro deux – car oui, le Grateful Dead ne rigole pas avec les percussions – qui se barre avec la caisse. Sympa. Pour couronner le tout, une petite incartade avec les Stups manque de les envoyer à l’ombre pour un moment. Une avalanche de bonnes nouvelles donc, qui s’apparente sérieusement à un sacré bad trip pour les têtes brulées les plus avérées du mouvement psychédélique. Un retour à la réalité bien frappé – c’est le cas de le dire – entamé quelques semaines plutôt, en décembre 69, lors des violences du festival d’Altamont, et le crash de la symbolique hippie.
Un Grateful Dead acculé donc, pressé par des finances désastreuses, qui enregistre un album en quatrième vitesse, rognant sur les élucubrations cosmiques trop onéreuses qui ont fait sa réputation. Retour à la bluegrass et à la country pour cet album au revirement popu qui s’apprête à défriser pas mal de fans du groupe. Les fameux deadheads, aussi dévots – et adoucis par un régime saturé d’acide – soient-ils, n’apprécieront que très peu ce premier volet d’un diptyque folk – complété par American Beauty, un peu plus tard dans l’année – plus contemplatif et tranquille, interprétation étonnamment littérale de l’héritage musical américain pour les Deads, d’ordinaire plutôt réputés pour leurs expérimentations instrumentales complexes et exubérantes. Mais n’en déplaise aux apôtres de la première heure, Workingman’s Dead marque le début d’un succès commercial inattendu pour le groupe, qui jusque là, semblait plutôt cantonné à l’ulcération pudibonde d’une Amérique bien propre sur elle.
Avec Workingman’s Dead, le Grateful Dead aspire à l’apaisement, et se paie une petite retraite spirituelle loin de l’intensité d’une contre-culture chaotique dont il est devenu la figure de proue. En gros, on se calme, et on se laisse bercer par un jukebox des années 40 bien poussiéreux. On emprunte au style country et western, et aux vieux classiques du blues – Cumberland Blues, Dire Wolf ou encore Easy Wind. On marche gentiment sur les plates bandes de ses potes, en se remémorant les leçons apprises lors de soirées passées à partager des cigarettes magiques avec les grands Crosby, Stills, Nash and Young, et on saupoudre tout ça d’harmonies vocales bien balancées. Des « air blends » qui infusent chaleureusement la plupart des morceaux, de l’inaugural Uncle John’s Band à la conclusion pro narcotique – on ne se refait pas – Casey Jones – deux favoris des radios – en passant par le résiliant New Speedway Boogie, et l’indolent High Time.
Cette édition SACD audiophile tirée des enregistrements originaux, masterisée – directement à partir du master analogique 1/4″ / 15 IPS / Dolby A – et gravée selon le protocole exigeant de MoFi, permet une appréhension proche de la perfection de cette oeuvre étrangement rustique du Grateful Dead, qui sort pour la première fois de son microcosme halluciné, pour se faire entendre au delà des limites de la Californie délurée des seventies.
TRACKLIST
- Uncle John's Band
- High Time
- Dire Wolf
- New Speedway
- Cumberland Blues
- Black Peter
- Easy Wind
- Casey Jones