1967. Un album fondamental du rock psychédélique sorti toutes les 97 secondes – okay, on exagère un poil, mais pas tant que ça – par toute une clique de figures messianiques sexy en diable comme touchées par la grâce. Une telle prolixité et un sérieux bodycount narcotique de neurones post summer of love chez les auditeurs : il était inévitable que certaines fulgurances se retrouvent reléguées aux limbes du rock’n’roll. Pour un temps. Ce fut le cas du sublime Forever Changes, figure libre prophétique, prédiction symphonique et vertigineuse du crépuscule de l’incise hippie, qui ne percuta l’inconscient collectif qu’à retardement.
Il faut avouer que Love, avec son lineup métis progressiste et son air de gang de crapules prêtes à en découdre – pas mal en inadéquation avec l’air du temps…et son patronyme d’ailleurs – était légèrement moins bien taillé pour faire bouillonner les hormones des nymphettes babos que les ondulations pelviennes shamaniques d’un Hendrix ou d’un Morrison. Et pourtant.Arthur Lee, tragédien perché et clairvoyant à la verve despote fragmentée de névroses, leader instable pétri d’angoisses existentielles, a amplement inspiré ces derniers, ex disciples de ce gourou pop désaxé. Hendrix aurait « emprunté » son aura bariolée tout en velours et rouflaquettes à Mr Lee, et il suffit d’écouter A House Is Not a Motel pour entendre des hoquetements érotiques que le leader des Doors s’est appropriés quelques mois plus tôt. On vous passera les détails des rancoeurs corollaires à ces affronts, laissant Lee coincé quelque part entre entre admiration jalouse et amertume taiseuse pour ses émules propulsés demi-dieux à sa place.
Mais finalement tout ça n’a plus la moindre importance lorsque l’on est persuadé de casser sa pipe dans la minute. Et c’est exactement ce que l’oracle sur la brèche a entrevue dans les brumes opiacées qui ont inspiré ces 42 minutes illuminées. Spoiler Alert : il ne décédera qu’un peu moins de 40 ans plus tard. En résulte une œuvre épitaphe délirante et poétique, quelque part entre la paranoïa glauque et l’élévation karmique de celui qui voit sa fin approcher. Un fatum fantasmé malaisant qui contamine l’album d’une schize étrange. On se laisse allés aux douces mélodies, à la virtuosité instrumentale alors que Lee déclame sa déstabilisante logorrhée mystique comme un gracieux « adieu monde cruel » schizoïde. Un album bifide, comme une énigme, aux mélodies grandiloquentes et poétiques viciées par des paroles acerbes et absconses. Un vertige symphonique aux influences mariachis – Alone Again Or – aux intitulés interminables – Maybe the People Would Be the Times or Between Clark and Hilldale et The Good Humor Man He Sees Everything Like This – et à la noirceur franchement borderline – The Red Telephone. On y croise même les chromosomes du futur hip hop – Bummer In The Summer. Cette édition SACD, masterisée selon le protocole audiophile MoFi – du master analogique 1/4″ / 15 IPS, vers DSD 256 – laisse appréhender cette œuvre ambivalente comme jamais.
L’enregistrement est chahuté, caractérisé par l’ostracisation temporaire de tous les membres du groupe, remplacés par des doublures studio moins soupçonnables de vouloir voler la vedette du régent mégalo. La scission ne dure qu’un temps, et heureusement. Lee accepte de lâcher du leste et laisse entrer la lumière de ses compères martyrisés, pour le meilleur. La formation ne survivra évidemment pas à la sortie de l’album. Mais laisse derrière elle un sacré testament !
TRACKLIST
1. Alone Again Or
2. A House Is Not a Motel
3. Andmoreagain
4. The Daily Planet
5. Old Man
6. The Red Telephone
7. Maybe the People Would Be the Times or Between Clark and Hilldale
8. Live and Let Live
9. The Good Humor Man He Sees Everything Like This
10.Bummer in the Summer
11.You Set the Scene