E.S.P. marque l’entrée en matière du second quintet de Miles Davis. Quasi quarantenaire, fervent pratiquant de la désintoxication en intérim, en proie à des hallucinations de plus en plus prégnantes, et donc, au bord du divorce, Miles Davis, superstar dissolue du jazz, choisit, afin de maintenir la tête hors de l’eau ne serait ce que du point de vue de sa carrière, d’opter pour une formation musicale entièrement constituée de chair fraiche.
Agés de 17 à 32 ans, les nouveaux complices de Davis, tous chaudement recommandés par son entourage, s’avèreront assez aventureux pour concéder à leur mentor ses excentricités cosmiques – Davis assume voir et converser avec des défunts tout de même! – et se laisseront volontiers modelés par le grand manitou, tout en le poussant dans ses retranchements de vieux de la vieille. En résulte, de l’avis général, l’ensemble le plus cohérent et efficace de la carrière du trompettiste, une cohésion impalpable entre lui et ses recrues, qu’il pousse à jouer de manière dite « télépathe », sans se soucier de la structure des morceaux.
Ce net penchant paranormal inspire à Davis l’intitulé de l’album, E.S.P., pour Extra Sensory Perception, une aptitude que le Monsieur s’est persuadé de posséder. Véritable don ou triste conséquence d’une consommation narcotique elle aussi surnaturelle? Allez savoir…
Le sigle E.S.P. s’avère également un clin d’oeil appuyé au label ESP Disk, que Davis affectionne tout particulièrement, et qui distribue des albums d’avant garde. Car d’avant garde, il en est évidemment question avec E.S.P. Même si celui-ci est encore sensiblement timoré, il n’est pas difficile d’y détecter les prémices de ce hard bop aventureux qui deviendra la signature de cette formation d’exception.
L’ensemble des titres – tous inédits – ont été composés par les musiciens de Davis. Un première pour le trompettiste, pas franchement renommé pour son lâcher prise. Cette confiance aveugle mutuelle matérialise une porte d’accès sublime pour le jazz abstrait, à la fois accessible et empreinte d’une délicieuse étrangeté. Un album moins contemplatif que ses prédécesseurs, bien plus épidermique. Une alchimie agile, tantôt agressive, tantôt mélancolique, toujours juste : un coup de foudre. Littéralement.
Réalisée à partir des bandes maîtresses originales – du master analogique 1/4″ / 15 IPS vers DSD 256 – dans le cadre de la restauration dévote du catalogue du grand Miles Davis par MoFi, cette édition SACD hybride limitée et numérotée ouvre grand les portes de ce chef d’oeuvre sophistiqué, audacieux, mais parfaitement pénétrable.
TRACKLIST
1. E.S.P.
2. Eighty-One
3. Little One
4. R.J.
5. Agitation
6. Iris
7. Mood